Avoir fort caractère … ou avoir mauvais caractère ?
Depuis mon plus jeune âge, ma mère n’a eu de cesse de me répéter que j’ai « du caractère ». Elle l’affirmait, en général, lorsque je remettais en cause des décisions parentales ou que je m’élevais contre des injustices – qui, pour un enfant, sont le plus souvent liées à des mauvaises notes à l’école ou des remarques désobligeantes des professeurs ! Je m’interroge aujourd’hui : que signifie « avoir du caractère » ?
Les caractères
J’ai eu envie de comprendre ce qui se cachait derrière cette expression que les mamans emploient volontiers à l’égard de leurs enfants un peu nerveux ou rebelles, ou qu’on utilise pour désigner des gens (adultes) qui ne respectent pas l’ordre établi, qui veulent renverser la table avec tout ce qu’il y a dessus, bref qui ne se contentent pas de suivre béatement la course du monde.
Disons-le tout net : le sens de l’expression « avoir du caractère » a été dévoyé avec le temps. Et je ne dis pas ça parce que je suis caractériel moi-même et que je veux absolument avoir raison. La notion de caractère, de nos jours, s’applique trop souvent à des gens emmerdants et colériques, bornés et invivables, avec lesquels il est difficile de discuter et encore plus de négocier.
De fait, « avoir du caractère » et « avoir un fort caractère » sont deux tournures constamment accolées, et désignent ouvertement des comportements volontiers abusifs, autoritaires ou capricieux. Un bébé qui pleure beaucoup a du caractère. Une femme qui joue avec le type qui lui fait la cour a du caractère. Un tyran a du caractère. Et le terme perd tout son sens.
Avoir du caractère, qu’est-ce que c’est ?
Or, « avoir du caractère », ce n’est pas ça, même si les aspects les plus extrêmes du comportement humain découlent de ce que signifie l’expression. Celle-ci s’applique de façon plus juste aux personnes qui s’affirment, qui ne se laissent pas faire, et dont les marques de tempérament sont plus visibles que chez les autres.
De fait, « être un emmerdeur » et « avoir du caractère » peuvent être deux choses très différentes. Prenons un exemple : le personnage fictionnel de François Pignon, apparu dans une série de films comiques français (depuis L’Emmerdeur jusqu’au Dîner de cons). Pignon est un emmerdeur au sens propre, mais pour autant, on ne peut pas dire qu’il ait du caractère. Voyez ?
Ici, on commence à percevoir une distinction : avoir du caractère VS manquer de personnalité. Diriger VS se laisser entraîner. On sépare en général le caractère et la personnalité, celle-ci s’exprimant à travers des formes diverses (façon de parler ou de s’habiller, goûts culturels…), tandis que le caractère fait plutôt écho à une façon de se comporter.
Un peu de psychologie
Dans le domaine de la psychologique, le caractère d’un individu se définit comme étant l’ensemble de ses réactions et de ses comportements face à des situations extérieures – sa façon d’être au monde, pour reprendre une expression chère à Heidegger. Cette notion de caractère inclut des paramètres nombreux et antithétiques, parmi lesquels la force/la faiblesse, la gentillesse/la méchanceté, etc.
En typographie, un caractère est une petite pièce généralement en plomb qui permet d’imprimer une lettre sur un support, à l’aide d’encre. En informatique, on parle de caractère pour désigner une lettre, un chiffre, un espace, etc. On évoque par exemple une « police de caractère » qui détermine les formes de l’écriture sur ordinateur.
Le caractère, c’est donc ce qui rend visible, ce qui imprime. Avoir du caractère, c’est entrer dans une relation à l’autre et au monde. Peu importe qu’il soit primaire (émotif, donc perceptible immédiatement) ou secondaire (rentré, donc imperceptible, façon Actor’s Studio), il n’en exprime pas moins la personnalité de l’individu et le bouillonnement intérieur qui l’anime.
Avoir du caractère au quotidien
Que n’entend-on cette expression au sein d’un couple : « On se dispute régulièrement parce qu’on a tous deux du caractère ». La formulation est étonnante. Elle implique que les couples qui ne se querellent pas en sont dénués, ou que l’un des deux passe son temps à s’écraser afin d’éviter tout conflit.
En couple comme dans le monde du travail, il est certes mieux considéré d’avoir du caractère, car la dichotomie est trop rapidement faite entre ceux qui en ont et ceux qui en sont dépourvus :
- Avoir du caractère = faire preuve de volonté, s’affirmer, imposer des idées
- Avoir un caractère plus discret = s’écraser devant les autres, être accommodant, manquer de personnalité et n’avoir pas d’avis sur quoi que ce soit
Or, cette distinction est grossière et malvenue. Un taiseux n’a pas moins de caractère qu’un extraverti sous prétexte qu’il communique peu avec les autres ; et un caractériel peut être impulsif sans pour autant avoir un caractère de leader. La force tranquille existe : elle vient de l’intérieur. Elle renvoie à la nature de chacun.
Avoir du caractère, c’est affirmer sa nature
Vous connaissez certainement cette histoire : un scorpion se retrouve coincé par un cours d’eau. Il demande à une grenouille de l’aider à traverser, ce qu’elle refuse tout d’abord parce qu’elle craint d’être piquée. Le scorpion lui assure qu’il saura se retenir et monte sur la grenouille. Au milieu du fleuve, cependant, le scorpion pique sa monture, et tous deux se noient.
Moralité ? Il était dans la nature du scorpion de piquer sa proie, quitte à mourir lui-même ce faisant. « Avoir du caractère », c’est cela : affirmer sa nature. Mais il y a diverses façons de le faire, car en acceptant de transporter le scorpion, la grenouille sait bien qu’elle prend un risque ; seulement sa nature, à elle, est d’aider l’autre. Tous deux font preuve de caractère : ils vont au bout de leur nature.
Dans certains pays, comme en Azerbaïdjan, le fait d’avoir du caractère est fortement mis en valeur, et se matérialise par une propension à crier sur son interlocuteur et à se disputer avec un maximum de personnes. Dans d’autres, c’est la discrétion qui prime, ainsi chez les Japonais. Peut-on dire pour autant que les premiers ont de la personnalité, tandis que les seconds seraient passifs ?
Combativité, oui ; mais tolérance, aussi
En réalité, « avoir du caractère » s’entend comme « avoir de la force de caractère », au sens où l’on parle d’une personnalité combative qui ne se laisse pas déborder par les événements et qui se relève toujours. Nietzsche écrivait : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts », et en cela il définissait la force de caractère mieux que personne.
Pour autant, la combativité n’est pas la seule marque de caractère qui compte. Jeffrey Pfeffer, professeur à Stanford, a par exemple déterminé les 6 traits de personnalité qui ouvrent la porte de la réussite en analysant ce que les « champions » (leaders politiques et culturels) avaient en commun. Ces 6 traits sont :
- L’endurance physique et l’énergie
- La concentration/l’attention
- La sensibilité aux autres
- La flexibilité
- La capacité à tolérer les conflits
- La capacité à maîtriser son ego
On voit que tous ne correspondent pas à l’idée que l’on se fait de traits de caractères « forts » : sensibilité, flexibilité, tolérance et humilité seraient plutôt classés, par méconnaissance, dans la catégorie des comportement (faibles). Or, le caractère idéal, selon ce professeur, serait un mélange parfait entre l’affirmation de soi et la modestie.
Alors, « bon » ou « mauvais » caractère ?
Par ailleurs, des études (lire ici) montrent que les personnalités les plus fortes sont aussi, souvent, les plus dépressives, parce qu’elles échouent à gérer les problèmes du quotidien avec la même fermeté qu’elles mettent à surmonter les situations critiques.
Finalement, « avoir du caractère », une expression trop souvent confondue avec « avoir mauvais caractère », s’applique à toute personnalité, qu’elle soit extravertie ou introvertie, querelleuse ou discrète, affirmative ou négative. C’est notre nature qui dicte notre caractère, et pas notre façon de parler plus ou moins fort.